Vendredi 17 mai, la commission spéciale a terminé son étude sur le projet de loi sur la fin de vie, qui propose notamment d’ouvrir « l’aide à mourir », c’est-à-dire l’euthanasie et le suicide assisté.
Quelques jours après la fin de la commission spéciale et juste avant le début des travaux en séance publique (27 mai), la Présidente de la commission Agnès Firmin-Le Bodo a déclaré que « l’équilibre sur la fin de vie a été rompu ». Même elle, favorable à l’aide à mourir, considère que la commission spéciale a dénaturé le texte initial du gouvernement, le rendant le plus permissif au monde en comparaison des autres pays qui ont légalisé l’euthanasie.
La fin du critère du « pronostic vital engagé à court ou moyen terme »
Le texte initial indiquait clairement que la pratique de « l’aide à mourir » pourrait intervenir alors que le patient avait un pronostic vital engagé à « court et moyen terme ». Même si le « court et moyen terme » était indéfinissable médicalement et juridiquement, nous comprenions que la personne devait être dans un état de fin de vie.
Les parlementaires de la commission ont remplacé ce critère par une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ». Nous revenons toujours à un problème de définition et d’objectivité des termes, notamment dans la notion « d’affection grave ». D’autant que cette « affection grave » ne signifie pas pour autant que le patient a un pronostic vital engagé. La perte partielle ou totale de la vue est-elle une « affection grave » ? Sur quel critère les médecins devront juger de la gravité d’une affection ? Le même problème de terme s’applique à l’idée que cette affection serait en « phase avancée ».
Ces quelques changements de termes dans le texte de la commission ont pour effet immédiat d’étendre « l’aide à mourir » à un public plus large.
Des critères subjectifs
Au début de l’examen du texte, le Gouvernement assurait que des critères stricts seraient mis en place pour éviter toutes formes d’abus ou de dérives. Or, parmi les critères énoncés par le projet de loi, seuls deux sont objectifs : être majeur et être Français (ou résider de manière régulière en France). Ces deux critères sont objectifs alors que TOUS les autres resteront à l’appréciation du médecin, qui décidera seul, en dehors de toute collégialité. Charge à lui de reconnaître l’affection comme « grave », « incurable », « en phase avancé ou terminale » et de juger si la souffrance est ou non réfractaire.
Et même si le texte prévoit un deuxième avis possible, ce dernier peut se faire à distance, sans voir le patient et bien sûr, cet avis ne saurait être contraignant.
Enfin, seul ce médecin sera témoin de la demande du patient. À aucun moment, le texte actuel ne prévoit de demande écrite ou devant le notaire, comme cela peut-être le cas dans certains pays.
Création d’un « délit d’entrave »
Avec la suppression du critère d’un pronostic vital, la commission a déjà contribué à rendre ce texte largement permissif et pourtant, elle est allée encore plus loin en ce qui concerne l’entourage, en créant un « délit d’entrave ».
C’est dans la dernière soirée d’étude que les députés ont proposé cette évolution sur la base du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. Ainsi, toute forme d’entrave portant sur « la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences de l’aide à mourir » sera puni par la loi.
Toutes formes de pression morale et psychologique de la part des proches, soignants, bénévoles ou simples citoyens entreront dans ce délit. Et plus encore, l’article 18 du texte donne la possibilité à toute association de « défense des droits des personnes à accéder à l’aide à mourir » de se porter partie civile.
En résumé, essayer de convaincre un proche de renoncer à l’euthanasie et au suicide assisté deviendrait un délit, que vous soyez médecin, parent ou ami. Face à ce patient qui se questionne sur son avenir existentiel, on ne pourra se positionner que dans un sens favorable à l’acte euthanasique pour rester dans le champ de la légalité.
Symboliquement, ce délit d’entrave isolera encore plus le patient. Une personne malade et souffrante est bien souvent dans un état de solitude importante, encore plus lorsqu’elle a conscience que la mort approche. Face à toutes les questions qui pourraient assaillir cette personne, la loi cherche à l’isoler encore plus en évitant qu’interfèrent d’autres visions, projets ou convictions. Ce délit d’entrave supposée protège la liberté de l’intention du patient qui demande la mort. Mais une décision libre n’est pas une décision qui se camoufle. La vraie liberté s’assume face à différents points de vue. Et les patients ne sont pas des enfants à qui il faudrait cacher des discours ou des arguments, encore plus lorsqu’il s’agit de la vie et de la mort.
Ce délit d’entrave confirme un sentiment profond qui existe chez certaines personnes depuis le début des débats : l’acte euthanasique est tellement indigne et honteux qu’il ne faut même pas en parler. Les termes de « suicide assisté » et « euthanasie » sont d’ores et déjà bannis du projet de loi. Tirez le rideau, il n’y a rien à voir.